Cet après dont rêvent les soignants.

Cet après dont rêvent les soignants.

Face au coronavirus, notre système a tenu grâce aux concessions personnelles des soignants et au système D. Pour l'après, nous attendons le "plan massif" annoncé pour sortir du cauchemar.

 

Face au Premier ministre, invité sur le plateau du 20h le 2 avril sur TF1, un jeune médecin urgentiste ose, mais très poliment, poser la question de l’après. Comme tous ses confrères il a vécu ces mois, pour ne pas dire ces années de crise, de difficultés, de souffrances dans son quotidien professionnel. Il a sans doute alerté, écrit, twitté, manifesté peut-être pour qu’on lui permette simplement d’exercer son “art”, pas dans les meilleures conditions mais juste dans des conditions décentes… pour ses patients.

 

Il n’a pas été entendu. Mais ça, ça devait être avant. Avant qu’aux difficultés du quotidien s’ajoute le déferlement sur les hôpitaux de la pandémie de COVID. Avant qu’en témoignage de soutien pour les soignants, les Français, tous les soirs, tambourinent à leurs fenêtres. Avant que chaque jour on se rende compte qu’ici il manque des lits de réanimation, là des soignants pour prendre en charge les patients, là encore une organisation pré-établie pour optimiser, redéployer, organiser, confrontés à une situation de crise.

 

Les patients ont besoin de la perspective de la guérison pour tenir, s’accrocher ; les soignants ont besoin de cette lumière au bout de leur long tunnel. Le savoir-faire français est extraordinaire. Cela est vrai aussi en matière de santé. On manque de visières ou de tabliers de protection? On bricole des pochettes plastiques et recycle des sacs poubelles auxquels on fabrique des manches.  Les masques de protection font défaut? On revisite l’utilisation d’un masque de plongée. Ça pourrait être la plage à l’hôpital mais l’ambiance n’est pas vraiment celle-là. Mieux: l’AP-HP fait tourner avec fierté sur les réseaux sociaux une interview d’un chirurgien expliquant qu’il prête main-forte comme brancardier. Mais au-delà de la magnifique solidarité entre les soignants, s’interroge-t-on sur la raison pour laquelle il manquait une aide-soignante, une infirmière, un brancardier remplacé au pied levé par un chirurgien ?

 

En quelques semaines, le nombre de places en réanimation a été multiplié. Des services, des hôpitaux entiers ont réaffecté leurs activités, leurs moyens, pour accueillir les victimes de la pandémie. Dans les régions, des coopérations inédites, inimaginables, se sont créées entre des structures publiques, privées et mixtes, entre professionnels, pour accueillir les patients et mutualiser les moyens. Là où “le travailler ensemble” était à des années lumières, échouait sur mille obstacles, quelques jours, et une terrible épidémie, ont permis de surmonter ce qui paraissait insurmontable.

 

Mais pour autant toutes ces organisations, partenariats, réorientations des soins qui se sont mis en place de manière effective et dans l’urgence n’auraient-ils pas pu être pour le moins préparés ? Beaucoup, à juste titre, alertent sur le risque de voir les patients porteurs d’autres pathologies graves, chroniques, cancéreuses, être les victimes collatérales du COVID-19 dans un système où tous les moyens ont été réorientés dans l’urgence sans avoir préalablement organisé la poursuite des soins nécessaires. Acceptons-nous de vivre cette fois, et pour les prochaines crises sanitaires ou attaques terroristes massives, sur notre territoire, avec une médecine de tri où il faut choisir, prioriser ceux que l’on soigne et ceux qui, faute d’organisation, doivent attendre en proie à leur sort ? Tous les soignants auxquels vous pourrez poser la question vous diront que choisir par manque de moyens quels patients traiter est pour eux l’épreuve la plus douloureuse, et qu’à tout prix, ils veulent éviter d’y être confrontés.

 

Mais hors-les-murs de l’hôpital aussi, le virus a exacerbé les failles du lien entre les Français et leur accès aux soins. Là où, déjà, on vivait dans un désert médical, les rares professionnels présents pour accueillir les patients ont eu d’abord à mener le combat des masques et solutions hydro-alcooliques pour se protéger puis ensuite à s’organiser pour accomplir au mieux leurs missions. Là encore, souvent, le système D à la française a sans doute permis de ne pas laisser trop de nos concitoyens totalement isolés des soins… mais dans le monde de l’ultra-connexion qui est le nôtre, l’organisation de ces schémas n’aurait-il pas incombé depuis longtemps aux responsables de l’organisation des soins?

 

Ils n’ont pas besoin de rêver de vacances, pas de compliments, pas d’éloges, fût-ce par les plus hautes autorités. Ils ont besoin de rêver que leur métier de “l’après” sera différent. Aujourd'hui, et depuis longtemps, ils ne rêvent plus. On entre à l’école, à la faculté certes, mais à la sortie les nouvelles générations confrontées à un système de santé construit sur une logique essentiellement économique (T2A) ne s’y retrouvent pas. Par ailleurs, le système actuel vit encore en partie grâce aux concessions personnelles consenties par les soignants engagés totalement dans leur vie professionnelle: vacances limitées ou non prises, horaires étendus, reconnaissance aléatoire.

 

Mais la population des soignants vieillit et, à juste titre, les plus jeunes n’accepteront pas d’être les victimes de leur carrière et d’un système de l’ancien monde. Ils sont prêts, ils veulent donner le meilleur à leurs patients et ont la conscience de la nécessité, de l’évaluation, et de la performance; mais médicale d’abord et pas économique. Tout le secteur économique de la Santé est foudroyé par la pandémie mais attention ! Si, au lendemain, dans l’après, on reprend les mêmes recettes, comme on peut déjà le craindre, que l’on demande aux soignants de faire les bons élèves de la T2A et de surproduire du soin pour “rattraper”, ce n’est pas du rêve que l’on laisse entrevoir aux soignants, mais un second cauchemar.

 

Le Premier ministre a, en réponse au jeune médecin urgentiste, ce soir-là, repris les mots du président de la République. La santé pourra compter sur le déploiement d’un “plan massif”. S’il n’était pas possible en une interview de décliner ce que cela signifie, il va falloir le détailler très vite pour qu’au bout du tunnel quotidien, les soignants entrevoient enfin cette petite lueur d’espoir.

 

Jérôme Loriau,
Chirurgien digestif, chef de service d'un hôpital parisien,
Élu au 15 arrondissement de Paris.

 

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