Comment réussir la nouvelle étape de décentralisation dans l’intérêt du plus grand nombre ?
De décembre 2018 à mai 2019, les députés réunis dans le groupe Libertés et territoires que je co-préside, ont réalisé un travail innovant avec près de vingt auditions afin d’élaborer des propositions pour rendre les territoires plus forts et plus autonomes.
J’ai le plaisir de porter à votre connaissance le fruit de ce travail inédit : des engagements concrets pour lancer une nouvelle étape de décentralisation, pour recentrer l’Etat sur ses missions régaliennes, pour agir dans un Etat déconcentré, pour redonner une autonomie fiscale et financière aux collectivités, pour rendre les territoires plus forts et pour faire vivre la démocratie locale.
I. Lancer une nouvelle étape de décentralisation pour créer un choc de confiance
- Instaurer une véritable pratique contractuelle et partenariale entre les collectivités territoriales et avec l’Etat.
- Instituer, chaque année, une conférence nationale Régions-Etat. Celle-ci aurait en charge la définition, la mise en œuvre, le suivi et le contrôle des politiques publiques qui les lient.
- Favoriser la création de véritables contrats de réciprocité entre territoires urbains et ruraux dans des domaines tels que l’installation d’entreprises, l’alimentation, la culture ou la santé par des échanges gagnants/gagnants de services et de productions. Il s’agit ainsi d’insister sur les complémentarités territoriales et non sur les concurrences.
- Mettre en place une co-présidence entre le préfet et un élu dans les commissions départementales de la coopération intercommunale.
- Permettre la constitution de collectivités locales à statut particulier lorsque la demande est légitimement exprimée.
- Responsabiliser les élus locaux en leur donnant des compétences pleines et entières sur la décision, la réalisation et le financement des projets.
II. Recentrer l’Etat sur ses missions régaliennes
➢ Aux régions:
- L’ensemble des politiques d’accompagnement des entreprises, afin de développer un véritable réseau de PME/PME/ETI au niveau local en s’appuyant sur les intercommunalités, notamment dans les territoires ruraux qui se doivent de conforter leur rôle de producteurs agricoles, industriels et artisanaux.
- Les pôles de compétitivité et d’excellence rurale.
- La gestion complète des fonds européens(instruction, paiement, contrôle).
- Les politiques de l’orientation et de la formation, avec un retour aux régions de la compétence sur l’apprentissage.
- Pour les régions qui le demandent, les politiques de l’emploi en vue d’exercer l’autorité fonctionnelle sur les employés de Pôle emploi en charge des relations avec les chômeurs.
- L’accessibilité du territoire, en confiant une compétence sur l’ensemble des transports du territoire et notamment les routes nationales.
- L’exercice d’une nouvelle compétence « politique linguistique», incluant la possibilité d’élaborer des politiques de développement pour les services publics dont l’enseignement.
- Les gestionnaires des lycées.
- Pour les territoires d’outre-mer et à statut particulier, tels que Wallis et Futuna ou la Corse,renforcer les capacités de nouer des coopérations avec leur voisins géographiques.
➢ Aux départements:
- L’ensemble de la solidarité territoriale, plus particulièrement dans les territoires de montagne confrontés à des enjeux très spécifiques d’accès aux services publics comme l’a bien fait ressortir l’audition de l’Association nationale des élus de montagne (ANEM). Cette solidarité territoriale se matérialisera par une offre d’ingénierie pour les petites communes en mal de moyens humains et financiers, en vue d’accomplir des projets structurants, pour leurs territoires. Il s’agira également de confirmer le rôle du département dans l’aménagement numérique du territoire.
- L’ensemble de la solidarité sociale, tout en veillant à ce que le financement du RSA puisse être dévolu à l’Etat, mais que l’accompagnement des bénéficiaires puisse être renforcé. Cela passera par le pilotage d’une agence des solidarités coordonnant localement l’ensemble des acteurs publics et privés du champ social et facilitant l’accès du public aux aides sociales.
- Les politiques de la dépendance, avec la création d’une branche de la sécurité sociale dédiée pour en assurer le financement au niveau national, mais dont le suivi et l’accompagnement serait de compétence départementale.
- L’ensemble de la politique du handicap.
- La gestion des mineurs non accompagnés doit revenir à l’Etat eu égard aux contraintes importantes qu’elle induit pour les départements tandis qu’elle résulte de la politique d’asile et d’immigration dont la compétence est nationale.
- Les gestionnaires des collèges de l’Education nationale.
➢ Au bloc communal:
- De manière générale, revenir sur l’obligation de transfert des compétences communales aux intercommunalités, telles que celles sur l’eau et l’assainissement.
- Revoir la gouvernance des intercommunalités afin d’assurer une représentativité suffisante de l’ensemble des communes. Il s’agirait également d’assurer un droit général à l’information sur les affaires de l’intercommunalité pour tous les conseillers communautaires n’étant pas membres du bureau.
- Instituer des conférences des intercommunalités pour faire en sorte que les plus petites d’entre elles puissent faire entendre leur voix en amont des décisions prises au sein des conférences territoriales de l’action publique (CTAP).Ainsi les préoccupations de toutes les intercommunalités, quelles que soient leur taille, auraient vocation à être portées dans ces structures décisionnaires se réunissant sous l’égide du président du conseil régional.
➢ Compétences partagées:
- La politique du logement social et de la rénovation urbaine devra se réaliser sur une base partenariale avec l’ensemble des collectivités locales, tout en veillant à ce qu’il n’y ait pas de blocage par l’une des strates dans la réalisation des objectifs définis par la loi, notamment la loi SRU.
- La transition énergétique, afin de rattraper le retard de la France par rapport à ses voisins européens dont les modèles de développement des filières s’appuient davantage sur les collectivités locales. Il s’agit de donner plus de marges de manœuvre au niveau local, car les politiques publiques en matière d’écologie sont essentiellement locales –déchets, urbanisme, transports, logement, espaces naturels, etc. L’État fixera les grandes règles, puis négociera avec les territoires le calendrier et les moyens financiers de leur mise en œuvre.
- La politique territoriale de la santé, dans une répartition entre régions et départements, avec la suppression des agences régionales de santé (ARS).
- Permettre et encourager les capacités d’interventions dans les domaines de la culture, du sport et du tourisme.
III. Agir pour un Etat déconcentré
- L’évolution de la carte administrative a influé sur l’organisation territoriale de l’Etat. La recentralisation des pouvoirs dans les préfectures des grandes régions a engendré un éloignement préjudiciable et renforcé le sentiment d’abandon de la puissance publique. Il convient donc de redonner du pouvoir aux préfets dans les départements qui doivent redevenir les interlocuteurs privilégiés des collectivités. Parallèlement, il faut supprimer certaines directions régionales de l’Etat (à l’exception des DRAC et SGAR).
- Une organisation différenciée doit évidemment être mise en place dans les collectivités de Corse et d’outre-mer, ainsi que dans les régions en faisant la demande, dans lesquelles la répartition des prérogatives entre l’Etat déconcentré et les collectivités doit être repensée.
- Instaurer un moratoire sur la fermeture des services publics jusqu’à la fin du mandat présidentiel;
- Supprimer les Direccte(Direction régionale des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi), leurs missions devant être confiées aux régions.
- Déconcentrer l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie)et l’Anah(Agence nationale de l’habitat), au niveau régional.
- Revenir sur la loi Elan ayant instauré une fusion des offices HLM en fonction du nombre de logement de leur parc
- Consolider le modèle des Maisons de services au public (MSAP)en augmentant leur financement et en améliorant le bouquet de services rendus et la formation des personnels. Certains agents «libérés» par la numérisation de l’administration leurs seraient réaffectés.
IV. Redonner une autonomie fiscale et financière aux collectivités territoriales
- Augmenter la part de TVA transférée aux régions sans hausse de la fiscalité ; Au même titre que la région Île-de-France, les régions devraient pouvoir percevoir une taxe d’équipement;
- Attribuer une part de CSG dynamique pour les départements sans hausse de la fiscalité ;
- Instaurer un projet de loi de finances spécifique aux collectivités territoriales et examiné annuellement par le Parlement dans le cadre du collectif budgétaire.
- Garantir dans la Constitution le principe d’autonomie fiscale des collectivités et inscrire l’interdiction pour l’Etat ou le Parlement de créer de nouvelles dépenses assurées par les collectivités territoriales sans compensation.
- Renforcer la péréquation entre les territoires, pour une meilleure répartition des richesses.
V. Rendre les territoires plus forts et plus autonomes (Différenciation des compétences et pouvoir d’adaptation normative)
- Différenciation:
La différenciation, qui permettrait «que certaines collectivités exercent des compétences, en nombre limité, dont ne disposent pas les collectivités de la même catégorie », existe déjà et ne nécessite pas de révision constitutionnelle, mais se heurte à de fortes limites d’ordre pratique ou juridique, qu’il convient de lever.
La différenciation dans l’attribution et l’exercice des compétences des collectivités locales de droit commun est prévue dans le cadre de leurs compétences actuelles, et dans les projets gouvernementaux il n’est pas prévu de transférer à certaines d’entre elles de nouvelles compétences de l’Etat. Ainsi, une région ne pourrait exercer par la différenciation, que les compétences des départements ou du bloc communal, mais dont l’échelon régional pourrait s’avérer trop éloigné. Les demandes de différenciation dans des domaines tels que les énergies marines renouvelables, l’agriculture littorale ou encore l’enseignement des langues régionales, sur lesquels planchent plusieurs régions ne pourraient pas aboutir dans ce cadre contraint, car elles relèvent descompétences de l’Etat. Il conviendrait donc de lever ce verrou en élargissant la possibilité de différenciation à des compétences exercées par l’Etat ne relevant pas de compétences régaliennes ou de libertés fondamentales.
Par ailleurs les députés du groupe Libertés et Territoires, dans la logique de leur attachement au principe de la contractualisation et de libre administration des collectivités locales, souhaitent voirsupprimer l’habilitation législative préalable à toute différenciation des compétences entre collectivités territoriales elles-mêmes. Ils défendent à la place une habilitation plus souple, par décret en Conseil des ministres, après avis du Conseil d’Etat, à la demande des collectivités locales.
Nos propositions en matière de différenciation et d’effectivité du pouvoir normatif sont ambitieuses mais nécessaires à la réussite de nos territoires. Si leur mise en oeuvre se faisait attendre, nous pourrions alors être amenés à demander la réintroduction de la clause de compétence générale pour les départements et les régions.
- Adaptation normative:
Les députés du groupe Libertés et Territoires estiment que les collectivités territoriales doivent avoir la possibilité d’exercer pleinement leur pouvoir réglementaire. La révision constitutionnelle de 2003 a inscrit dans le texte fondamental la reconnaissance de ce pouvoir au niveau local. Il est peu effectif dans la réalité car trop restrictif, les collectivités territoriales ayant par ailleurs tendance à en être dépossédées par l’administration centrale. Ce constat vient rejoindre celui de la constitutionnaliste Wanda Mastor pour qui «il n’existe pas en droit de pouvoir réglementaire, de pouvoir normatif tant qu’il n’est pas autonome. Les collectivités territoriales n’ont que des compétences que l’Etat central accepte de lui transférer et qu’elles exercent sous le contrôle de légalité de l’Etat et du juge administratif. La constitutionnalisation du pouvoir réglementaire local (art. 72 al. 3) en 2003 ne fait de ce dernier qu’un pouvoir secondaire et résiduel.»
En effet, les expérimentations menées par les collectivités territoriales pour déroger aux dispositionslégislatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences ont connu un très faible succès. En effet, ces expérimentations obéissent à de strictes conditions d’application mentionnéespar la loi organique: c’est toujours l’Etat qui autorise l’expérimentation locale, qui en précise l’objet, la durée -5 ans maximum -, qui détermine les catégories de collectivités habilitées à la mettre en œuvre. De plus, les actes dérogatoires adoptés dans ce cadre sont des actes administratifs, soumis au contrôle de légalité. En outre, le juge constitutionnel et le législateur ont posé de strictes conditions d’application. Enfin, un rapport gouvernemental permet au Parlement d’évaluer l’expérimentation en prenant une décision visant soit à la généraliser, soit à l’abandonner, soit enfin à la modifier ou à la prolonger. Ce ne sont ainsi pas moins de huit contraintes propres à l’expérimentation qui peuvent être recensées : l’objet, la durée, l’espace, le volontariat, l’évaluation, la réversibilité, l’habilitation législative et la finalisation.
- Créons un véritable pouvoir normatif autonome, ce qui suppose là aussi que le législateur n’empiète pas sur le pouvoir réglementaire des collectivités locales en faisant des lois trop bavardes. Ils demandent également à ce que le contrôle de légalité soit exercé aposteriori et harmonisé sur le territoire afin de laisser de la souplesse dans l’action publique des collectivités locales.
Pour aboutir à ce véritable pouvoir réglementaire autonome, il s’agira de supprimer les principales contraintes ci-dessus énumérées à savoir l’objet limité à ses propres compétences, la durée, l’espace et l’habilitation législative. Sur ce dernier point on notera que sur la quarantaine de demandes d’habilitation législative formulée par la Collectivité territoriale de Corse, seules deux ont reçu une réponse effective de l’Etat, qui s’avéraient être négatives,toutes les autres étant restées lettres mortes. Le groupe Libertés et Territoires propose donc que soit mis en place un statut d’autonomie pour la Corse au sein de la République française, assorti d’un véritable pouvoir législatif et règlementaire dans différents domaines (hors compétences régaliennes de l’Etat et libertés fondamentales).
- Élargir les possibilités de différenciation des collectivités locales à certaines compétences de l’Etat.
- Supprimer l’habilitation législative préalable à toute différenciation par une habilitation par décret en Conseil des ministres à la demande des collectivités locales. Dans l’hypothèse où cette proposition ne serait pas consacrée, il faudrait appliquer le principe selon lequel le silence du Gouvernement après un certain délai, vaut accord;
- Création d’un véritable pouvoir normatif autonome avec habilitation permanente de droit à la demande des collectivités territoriales dans les domaines de la loi hors compétences régaliennes de l’Etat. Le contrôle de légalité, effectué par les préfectures, se doit d’être harmonisé sur l’ensemble du territoire.
- Ouvrir les négociations Etat –élus de la collectivité de Corse pour la mise en place d’un statutd’autonomie pour la Corse, au même titre que d’autres îles en Méditerranée ou decollectivités d’Outre-Mer.
- Transférer la compétence dans le domaine de la fiscalité du patrimoine, tel que demandé par la Corse, pour faire face à une situation foncière particulière (indivisions et phénomène spéculatif). La maitrise du foncier en Corse exige d’avoir des outils puissants à la disposition de la Collectivité.
VI. Faire vivre la démocratie locale dans les territoires
- Réviser les dispositifs de la participation citoyenne locale. Pour cela, il est proposé de créer des «médiateurs publics locaux» indépendants afin de favoriser l’organisation de concertations sur la mise en œuvre de projets structurants pour le territoire. Ce service permettrait de renforcer la compréhension et l’acceptabilité des projets d’intérêt général tout autant qu’il permettrait d’inclure les citoyens dans la vie démocratique locale, surtout dans les petites communes pas suffisamment outillées pour mettre en place ce type de processus;
- Assouplir la procédure des référendums locaux en abaissant les seuils de déclenchement par les citoyens et de validation des résultats sans condition de participation minimale, tels que formulés notamment par l’historien franco-suisse Claude Barbier.
- Mettre en place un véritable « statut de l’élu. » Il doit permettre de faciliter l’accès et l’exercice des mandats locaux notamment pour les concilier avec la vie professionnelle et privée. Les allers/retours entre vie politique et professionnelle devront être facilités. Cela suppose également de renforcer la formation des élus, afin de mieux les protéger, notamment pénalement, dans les responsabilités qui sont les leurs. Il conviendra également de ne pas limiter dans le temps le cumul des mandats, afin de permettre aux élus locaux de mettre en place des projets structurants pour le territoire de bout en bout alors que leur conception nécessite de plus en plus de temps. Enfin, il s’agira d’autoriser le cumul des mandats de parlementaire et d’exécutifs locaux pour les communes de moins de 10 000 habitants, afin de renforcer l’ancrage territorial des députés et sénateurs.
- Lors des modifications des périmètres des intercommunalités, les avis des commissions départementales de coopération intercommunale doivent être obligatoirement pris en compte.
- Afin de faire vivre la démocratie de proximité dans les plus petites communes, le nombre de conseillers municipaux dans les communes de moins de 100 habitants pourrait être ramené de 7 à 5
Philippe Vigier et l'ensemble du groupe parlementaire "Libertés et Territoires".
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