D'ici le 11 mai, il faut passer d'une logique de restriction de liberté et de culpabilisation à plus de responsabilisation et d'action pour réduire les principales causes de contamination.
D'ici le 11 mai, il faut passer d'une logique de restriction de liberté et de culpabilisation à plus de responsabilisation et d'action pour réduire les principales causes de contamination.
Il est manifeste qu'Emmanuel Macron et le gouvernement comptent avant tout sur le respect des règles du confinement pour ralentir la propagation de l'épidémie du Covid-19. Ces règles consistent essentiellement pour les individus en de fortes restrictions de la liberté de circulation, des piétons, des cyclistes et des automobilistes. Les forces de l'ordre s'emploient à les faire respecter.
On comprend les interdictions d'accès qui concernent des sites très attractifs, comme les grandes plages touristiques, vers lesquels pourraient converger un trop grand nombre de personnes rendant impossible le respect d'une distanciation suffisante, on comprend moins l'interdiction d'accès à la forêt de Fontainebleau dont la superficie est environ le double de celle de Paris. Ainsi on culpabilise et on verbalise le promeneur en forêt, ou celui qui s'est éloigné de plus de 1 km de son domicile, le cycliste, même isolé, on culpabilise les franciliens partis dans leur résidence secondaire la veille du confinement et l'on verbalise ceux qui ont voulu le faire pendant le week-end de Pâques. Il est largement permis de douter que ces "coupables" désignés représentent les principaux vecteurs de diffusion du Covid-19 qui subsistent aujourd'hui et que cela justifie de mobiliser ainsi d'une façon aussi intense, voire exclusive, les forces de l'ordre pour les traquer.
La culpabilisation de ces franciliens a même des relents nauséabonds. On s'indigne à juste titre du refus de certaines copropriétés d'accueillir du personnel soignant possiblement contaminé, mais on approuve les provinciaux qui s'offusquent de l'arrivée de ces franciliens considérés comme d'irresponsables pestiférés et les maires qui cherchent à empêcher leur arrivée. Cette culpabilisation semble également très contestable du point de vue de l'impact sanitaire global. Qu'un million de franciliens quittent une zone où la probabilité d'être contaminés est plus forte qu'ailleurs, en raison notamment de la forte densité de population, doit largement compenser le petit surcroît de risque qu'ils font peser sur les provinciaux, là où la bonne distanciation est plus facile à respecter. J'attends la démonstration qui prouverait le contraire. Bien sûr ils font figure de privilégiés, mais ils ne méritent pas une telle opprobre. Stanislas Guerini redoute un conflit entre la France des résidences secondaires et celle des HLM, encore ne faut-il pas l'alimenter avec des arguments douteux en surfant sur le cliché de l'égoïsme des nantis.
Cette culpabilisation et ces restrictions de circulation seraient pleinement justifiées si elles touchaient la bonne cible. Mais la vérité est qu'elles n'agissent peu et en tout cas pas directement sur les causes majeures de la poursuite de la propagation de l'épidémie malgré le confinement :
La première cause est la contamination au sein des foyers sur laquelle le confinement est sans effet. Une personne infectée au début du confinement va avec une forte probabilité contaminer tous les membres du foyer. La seule chose qui aurait permis de limiter dans une certaine mesure cette propagation, c'est un dépistage rapide et massif associé à un isolement immédiat des personnes contaminées, mais nous n'avions pas les tests. Et c'est toujours faute de tests aussi que l'on recommande aux personnes malades tant qu'elles n'ont pas de signes graves de rester dans leurs foyers, ce qui n'est d'ailleurs pas très compatible avec des stratégies de traitement précoce souhaitées par une partie du corps médical. Ces contaminations internes aux foyers ont accru le nombre des admissions dans les hôpitaux dans les premières semaines du confinement et les décès par la suite. Elles ont retardé le moment où l'on a commencé à constater le ralentissement des admissions dans les hôpitaux. Tout cela est absolument regrettable, il faut le reconnaître, mais c'est ainsi, faute de tests.
La seconde cause, en partie comportementale mais pas seulement, est le manque de respect des recommandations en matière de distanciation et d'hygiène. En dehors des messages en la matière qui tournent en boucle dans les média, et qu'on n'écoute plus, les pouvoirs publics et les forces de l'ordre ne semblent pas s'en préoccuper davantage. De quelles situations s'agit-il ? Il s'agit d'abord de cette situation à laquelle on est inévitablement confronté en faisant ses courses, lorsqu'on ne parvient pas à se faire livrer à domicile ou en drive, qui est de se rendre dans un commerce, et notamment d'avoir à parcourir les allées d'un supermarché. Ce parcours, même avec un masque de fortune plus protecteur des autres que de soi, peut s'apparenter à la traversée d'un champs de mines à Covid-19. Une autre situation ordinaire de mise en risque est celle créée par de nombreux promeneurs ou joggeurs "légaux" à moins d'1 km de leur domicile qui ne respectent pas correctement la règle de distanciation, obligeant les plus soucieux de la règle à effectuer un slalom entre les promeneurs ou à renoncer à sortir.
Que font les pouvoirs publics pour réduire ces risques ? Ils semblent en ce qui concerne la distribution des produits dits de première nécessité s'en remettre à la bonne volonté des commerces et des grandes surfaces. Il manque une politique ferme et systématique qui vise à organiser cette distribution de la façon la plus sûre possible, notamment pour les personnes fragiles. Dans les magasins tout d'abord, plusieurs idées viennent à l'esprit : imposer systématiquement le nettoyage des mains à l'entrée avec du gel hydroalcoolique, mettre les allées à sens unique, interdire de choisir en touchant les fruits et légumes, et, au moins en attendant l'arrivée massive des masques qui en permettra un port obligatoire, faire respecter les distances de sécurité..., au besoin avec l'appui occasionnel d'un représentant des forces de l'ordre. Quant aux livraisons à domicile et en drive, ces alternatives a priori plus sûres que les courses en magasin sont prises d'assaut sur internet et lorsqu'on parvient à se connecter, il n'y a souvent plus de créneaux disponibles, sauf parfois en se connectant à 6h du matin. Il serait particulièrement judicieux de réserver un accès prioritaire à ces alternatives aux personnes à risque, seniors, femmes enceintes..., à partir de leur date de naissance ou sur la base de certificats médicaux. Par ailleurs, les seniors ont souvent plus de difficultés avec internet, il faut leur faciliter l'accès à des commandes téléphoniques qui leur sont dédiées. Il faut donc systématiser la mise en place de tout un ensemble de mesures de ce type d'une façon réglementaire, pour les magasins, comme pour les livraisons alternatives et les faire respecter et bien sûr largement communiquer pour les faire connaître. Ces mesures devront être impérativement maintenues dans la phase de dé-confinement, et au delà, notamment en faveur des personnes à risque, car le risque de contamination en faisant ses courses va alors inévitablement remonter. Quant au manque de respect ordinaire de la bonne distanciation dans l'espace public, que font les forces de l'ordre excepté d'hypothétiques rappels des bons comportements et dispersions de groupes trop agglutinés ?
Il y a ainsi une énorme disproportion entre la traque et la coercition sur de petits risques et le peu d'action sur les principaux risques. Il peut être agaçant pour un cycliste d'un certain âge d'être verbalisé alors que c'est la seule activité physique qui lui reste possible, ou pour un promeneur respectueux de la bonne distanciation, d'être sanctionné car un peu trop éloigné de chez lui. C'est encore plus agaçant lorsqu'il se retrouve ensuite dans un supermarché où les dispositions sont insuffisantes pour lui garantir sa sécurité et dont le site de livraisons en drive ou à domicile est en permanence saturé ou lorsqu'il croise dans la rue une famille entière qui prend toute la largeur du trottoir sans s'écarter, ou un joggeur essoufflé, postillonnant ou crachant, qui lui arrive dessus en déviant à peine sa trajectoire. N'est-il pas envisageable de sanctionner le gérant du magasin qui ne mettrait pas en place l'ensemble des mesures qui auront été définies pour sécuriser l'approvisionnement de ses clients, notamment les plus à risques, en produits dits de première nécessité ? N'est-il pas envisageable de sanctionner les comportements manifestement inappropriés en matière de distanciation et d'hygiène ?
Le confinement est certes une étape qui a été nécessaire pour mettre un coup d'arrêt à la propagation du virus. Mais pour le rendre plus efficace et plus tolérable dans la durée, il est impératif de concentrer désormais les efforts sur les principaux risques de contamination qui subsistent. Il est donc temps d'engager la transition depuis la logique de restriction de la liberté de circulation et de culpabilisation qui prévaut aujourd'hui vers la responsabilisation de chacun en matière de comportement (distanciation, hygiène) et la mise en place de dispositions concrètes et bien identifiées pour réduire les risques dans l'accomplissement des activités indispensables.
Non seulement cette transition est nécessaire pour rendre plus acceptable et plus efficace le confinement dans la durée, mais plus important encore, c'est aussi une condition indispensable pour préparer et réussir la phase de sortie progressive qui devrait débuter le 11 mai prochain. Les bons comportements et les dispositions protectrices dans les activités incontournables seront absolument nécessaires pour éviter une hausse brutale du nombre de nouvelles contaminations sitôt le déconfinement amorcé. Si l'on reste sur l'idée que le confinement est juste une purge temporaire de privation de libertés de mouvement, et qu'après la vie reprendra à peu près comme avant, on n'aura pas compris, rien appris.
Cela permettrait enfin d'éviter cette perspective complètement hallucinante d'un déconfinement par classe d'âge. S'il s'agit uniquement de sécuriser durablement, dans le respect de la dignité des personnes âgées, l'accès et le fonctionnement des établissements sociaux qui les hébergent, fort bien. S'il s'agit de maintenir au delà du 11 mai les restrictions actuelles à la liberté de circulation pour les personnes de plus de 65 ans, comme l'hypothèse en a été avancée, c'est absolument révoltant. Il est sidérant de constater avec quelle facilité les autorités sanitaires ou médicales se mettent à raisonner comme des vétérinaires ayant à résoudre une question de santé du bétail, et avec quel naturel les autorités politiques et les commentateurs envisagent benoitement de restreindre durablement les libertés d'une fraction importante de la population jusqu'à la fin de l'année 2020, comme l'envisage Mme Von Der Leyen. Des barrières intellectuelles qu'on pouvait penser fortes dans nos démocraties sautent avec une facilité stupéfiante. Les plus de 65 ans représentent plus d'un français et d'un européen sur cinq, mais peut-être considère-t-on qu'il s'agit pour la plupart de retraités, d'inactifs, et qu'il y aura peu de dommages économiques à les maintenir confinés. Je ne sais si l'état d'urgence permet ce genre de discrimination extrême. Mais en plus d'être révoltant, c'est tout simplement idiot et intenable. Peut-on imaginer à l'avance la situation où les policiers verbaliseraient le promeneur aux tempes grises qui a dépassé son heure ou le km, tandis que les plus jeunes profiteraient du soleil, certes avec distanciation, dans la rue, dans un parc, ou sur une plage. Les personnes âgées ont bien compris qu'elles risquaient plus que les autres leur peau, elles sont les premières à respecter les recommandations sur la distanciation. Comment concevoir qu'elles pourraient accepter de renoncer à leur liberté sans renâcler, alors que l'on n'aurait pas su ni voulu suffisamment inculquer aux plus jeunes un sens des responsabilités leur faisant adopter les bons comportements en matière de distanciation, et tandis qu'on laisserait par ailleurs subsister un risque significatif de contamination pendant qu'elles font leurs courses, risque qui ne ferait que s'amplifier au fur et à mesure de la reprise d'une activité normale des plus jeunes. Là encore, on rendra un bien meilleur service, même sur un strict plan sanitaire, aux personnes de plus de 65 ans et aux personnes fragiles en général, par la responsabilisation de chacun et la mise en place des dispositions concrètes évoquées plus haut.
Bien des pays réussissent mieux que nous face à la pandémie du Covid-19. La disponibilité des masques et des tests est un facteur explicatif important, mais au delà, ce qui fait la différence c'est le sens des responsabilités individuelles vis à vis d'autrui, en matière de gestes barrières et de distanciation, au quotidien dans la durée, pas sur quelques semaines, au moins jusqu'à l'administration d'un vaccin. Ici, la recherche dérisoire des boucs émissaires qui trichent pour contourner les restrictions de liberté de circulation masquent l'essentiel. Si l'on pense que ces restrictions temporaires, éventuellement prolongées pour les vieux, sont "La" solution, nous le paierons par des milliers de morts supplémentaires, par des conséquences économiques et sociales aggravées, par une succession de délitements moraux, sociaux, familiaux. Il est urgent de faire évoluer notre paradigme.
Yoland STREHL.
Pour voir toutes les autres contributions de cette thématique, cliquez ici !
Sign in if you'd like new recruits to be credited to you.
Actuellement 1 commentaire