Hervé Morin : "Une démocratie locale allant du bas vers le haut, enjeu-clé pour demain."

Hervé Morin : "Une démocratie locale allant du bas vers le haut, enjeu-clé pour demain."

Hervé Morin, cofondateur de Territoires!, Président de la Région Normandie, a rédigé une tribune dans le journal Ouest France dans laquelle il dénonce les limites du centralisme d'État et appelle à "une démocratie régénérée" en donnant plus de moyens d'actions aux territoires.

 

La crise du Covid fera l’objet d’innombrables analyses, enquêtes parlementaires voire judiciaires. Les défaillances de l’État, en termes de capacité d’anticipation et de réactivité, la confusion préjudiciable du discours gouvernemental, la faiblesse de notre structure de santé qui a cependant tenu grâce au dévouement de nos soignants, l’implosion européenne incapable de porter une politique commune sur les éléments relevant de son champ d’action comme celui des frontières, ne pourront bénéficier du droit à l’oubli et méritent en tout état de cause que l’on s’interroge collectivement.

 

Place à une démocratie locale

La crise du Covid pointe plus largement les faiblesses de notre organisation démocratique et notamment les limites de notre fonctionnement centralisé. Pourtant, aux premiers jours de la crise, nous aurions pu penser que notre jacobinisme allait cette fois nous distinguer positivement des autres pays. Ce n’est pas ce qui s’est passé. Une fois de plus, notre centralisme et la défiance viscérale de notre appareil d’État vis-à-vis des élus locaux ont montré leurs limites. Dans bien des cas, l’agilité des collectivités locales aurait mieux fait que la lourdeur de l’appareil d’État. Pourquoi avoir interdit si longtemps les promenades à marée basse sur les littoraux de la Mer du Nord, de la Manche ou de l’Atlantique ? Pourquoi avoir traité cafés ou restaurants de la même manière à Colmar comme à Honfleur ou un village de la Creuse ? Les élus locaux ont agi et agissent encore mais ils n’en pensent pas moins de cet État qui sait toujours mieux que tout le monde et, au final, se trompe le plus souvent. Un enjeu clé pour demain est donc bien celui des libertés locales. Finie cette décentralisation concédée ou chipotée par l’État et place à une démocratie locale allant du bas vers le haut, facteur d’efficacité, de réactivité, de citoyenneté. Une démocratie régénérée par ses racines.

 

En 1969, le Général de Gaulle avait tiré les conséquences de la crise de mai 1968 en proposant aux Français la régionalisation. Il voulait que chaque Français puisse « participer effectivement à ce qui le concerne ». Sur ce point aussi, le général de Gaulle avait vu juste. Il avait compris que la question pour le futur n’était plus la reconstruction de l’unité du pays mais la libération des énergies par la régionalisation, l’autonomie locale et la participation des citoyens. Un demi-siècle plus tard, dans une France post gilets jaunes et post Covid, nous serons face au même défi, celui d’une organisation des pouvoirs nouvelle fondée sur le principe de subsidiarité. Les compétences ne sont confiées à l’échelon supérieur que si elles ne peuvent être exercées à l’échelon le plus proche du citoyen. Et cette compétence est d’exercice plein et entier et non partagé entre l’État et les collectivités. Et il faut garantir ces principes par la Constitution.

 

Réaffirmer l’importance des libertés

Notre fragilité démocratique ne se limite pas à notre centralisation excessive et étouffante. Plus sourdes mais non moins inquiétantes sont pour la « France d’après » les effets possibles des atteintes aux libertés individuelles que nous avons consenties durant cette période. Entendons-nous bien, personne ne doute de la passion démocratique du chef de l’État et personne ne pense que les mesures « liberticides » ordonnées depuis mars n’étaient pas nécessaires à la résolution de la crise. Mais, venant après ce que la lutte contre le terrorisme avait aussi exigé en termes de recul des libertés publiques au cours des cinq dernières années, le sujet des libertés individuelles est tout sauf anodin ou mineur. Comme l’écrivent les chercheurs américains Levitsky et Ziblatt, les règles implicites et le consentement partagé sont, autant que les constitutions, les meilleurs garants de la protection de la démocratie. À l’inverse, ils montrent que l’on peut vite passer et au nom de l’intérêt général et de la protection des citoyens, de la démocratie à des formes plus ou moins prononcées d’autoritarisme.

 

Il y avait eu d’abord la funeste idée du gouvernement – Dieu merci abandonnée – d’un site qui désignait les bons et les mauvais articles sur le Covid, puis vint le projet de traçage des personnes avec l'application Stop Covid, et voici à présent la loi dite AVIA qui pourrait permettre à l’exécutif et non au juge de censurer l’expression haineuse sur internet. Ce que je veux dire est que dans un contexte possible de crise politique et sociale, le dérèglement de notre horloge démocratique avec ses pouvoirs et ses contre-pouvoirs pourrait être rapide dans des mains autrement plus lestes que celle de l’actuel chef de l’État.

 

Réécrire le contrat démocratique qui fonde notre unité, revenir au dialogue singulier entre l’aspiration des Français à l’unité républicaine et leur même passion pour leurs territoires, réaffirmer l’importance des libertés et des énergies locales, reconstruire un Parlement qui ne soit pas une simple chambre d’enregistrement, redoubler de vigilance sur toute décision portant atteinte, même pour notre bien, à nos libertés, voici une belle feuille de route pour la France d’après. Une feuille de route nullement incompatible avec le travail de redressement économique qui nous attend collectivement. À la demande de sécurité et de protection qui surgira forcément de la crise économique et sociale des mois à venir, c’est à l’évidence par plus de démocratie que nous devons répondre.

 

Source : Ouest France

 

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Actuellement 4 commentaire(s)

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  • maurice talbot
    a suivi cette page 2020-06-23 08:20:36 +0200
  • Henri Duruz
    a commenté 2020-06-21 10:51:25 +0200
    Je suis totalement en accord avec le discours d’Hervé Morin. Mais, réécrire le contrat démocratique passe nécessairement par une V ème République qui rompt avec le régime présidentiel du général de Gaulle. On ne peut pas en même temps élire un Président sur son programme électoral et élire un Parlement qui aurait un autre programme. C’est bien pour éviter cela que les législatives se passent au système majoritaire, dans la foulée de l’élection présidentielle. Ainsi, le Parlement devient une chambre d’enregistrement.
  • Hervé Morin
    a publié cette page dans Actualités 2020-06-19 13:58:45 +0200
  • Hervé Morin
    a publié cette page dans Actualités 2020-06-19 13:58:45 +0200