Hervé Morin : "La réforme de l'apprentissage sera un échec pour la France".
Hervé Morin : "La réforme de l'apprentissage sera un échec pour la France".
Tribune d'Hervé Morin
La décentralisation, en confiant aux régions le pilotage de l’apprentissage, a permis des évolutions majeures pour cette voie d’excellence génératrice d’emplois.
Je pense notamment à la profonde rénovation des CFA (250 millions d’euros sont investis chaque année par les régions) ou encore à l’ouverture des milliers de formations du CAP au Master sur l’ensemble du territoire national (1346 rien qu’en 2016).
Or, l’avant-projet de loi annoncé il y a quelques jours par Muriel Pénicaud fait craindre le pire. En effet, pour la première fois depuis trente ans, une compétence décentralisée et pilotée avec efficacité par les régions sera très largement centralisée, en contradiction totale avec la volonté affichée du gouvernement de conclure un « pacte girondin » avec les collectivités locales. Or j’en suis convaincu, ce sont les territoires qui ont toutes les clefs en main pour réussir là où l’État échoue depuis trop longtemps.
L’exemple de la région Normandie que j’ai l’honneur de présider le démontre. Après un travail de coconstruction avec l’ensemble des acteurs de l’apprentissage, nous avons mis en place une nouvelle politique ambitieuse et adaptée aux besoins de chacun d’entre eux. 136 millions d’euros sont ainsi consacrés chaque année depuis 2017 à cette filière d’excellence avec un objectif majeur : multiplier par deux le nombre d’apprentis sur notre territoire d’ici 2021. Cette nouvelle politique dessinée avec et pour les acteurs porte d’ores et déjà ses fruits. En une année, la Normandie a enregistré une hausse de 7% de ses effectifs de jeunes en alternance.
Demain, si les branches professionnelles prennent le pilotage de l’apprentissage comme le texte de loi le prévoit, nous arriverions à la privatisation d’une politique publique. Le financement serait en effet confié aux branches professionnelles qui verseront un « coût » par apprenti (variable selon le diplôme et décidé au plan national) à chaque CFA. Les CFA devront donc trouver un « couple » apprenti/entreprise et leur faire signer un contrat d’apprentissage.
Les conséquences de cette réforme à l’échelle du pays sont simples : les régions verraient leurs moyens pour l’apprentissage passer de 1,6 milliard d'euros à 250 millions, la moitié des CFA serait susceptible de fermer ou de se restructurer, 6 à 7000 formations en alternance seraient supprimées.
Rien qu’en Normandie, 44 centres de formation accumuleraient 29 millions d’euros de déficit quand vingt autres cumuleraient vingt millions d’euros d’excèdent. En clair, la quasi-totalité des CFA serait concentrée dans les zones les plus densément peuplées et autour des filières attractives. C’est inacceptable car chaque jeune doit avoir les mêmes chances de réussir, d’où qu’il vienne et quel que soit son choix de formation.
En conclusion, vous l’aurez compris, je suis persuadé que si nous voulons vraiment réussir la transformation de nos territoires et redresser durablement notre pays, le gouvernement doit considérer que les collectivités ont un rôle central à jouer. En l’espèce, sur des questions aussi cruciales que celles qui touchent à la formation par l’alternance, je demande à l’État de réexaminer sa position en faisant pleinement confiance aux régions !
Interview de l'AFP
Que reprochez-vous au dispositif du gouvernement ?
Cette réforme sera un échec pour l'apprentissage et pour la France. Elle laissera une partie de nos jeunes, notamment dans les zones rurales ou semi-rurales ou dans les quartiers, sans solution. Donc, ce sera un handicap de plus pour ces territoires déjà en difficulté, parce qu'il n'y aura pas les qualifications et les compétences à proximité. Le sujet majeur, aujourd'hui, c'est +comment faire en sorte que nos ouvertures de formations en apprentissage trouve un public ?+ On va se retrouver avec des zones entières où les centres de formation, parce qu'ils n'auront pas les effectifs nécessaires, fermeront des formations. Nous estimons que près des deux-tiers des centres de formation (CFA) sont en péril".
Le gouvernement entend pourtant lever les obstacles à l'apprentissage ?
On crée un système totalement centralisé, qui va être d'une bureaucratie et d'une complexité extraordinaires. Le prix de formation décidé au niveau national empêchera l'analyse fine de chaque formation. Or, il n'y a pas une formation qui ressemble à une autre, pas un centre de formation qui ne s'adapte en fonction des publics, des besoins de l'économie, du bassin d'emploi... Tout ça va se trouver confronté à une uniformisation absolue dans un monde beaucoup plus complexe que des prix et une tarification de la formation centralisée au niveau national. A notre demande, le gouvernement a créé un fonds d'aménagement du territoire, mais dont la dotation est tellement faible qu'elle ne permettra jamais de maintenir des formations dans des zones qui en ont pourtant considérablement besoin. Et s'il n'y a plus ces formations, il n'y aura plus, derrière, les entreprises. Dans le bâtiment, le bassin de recrutement est de trente kilomètres maximum aux alentours. Si vous n'avez pas le centre de formation à côté, vous n'avez plus de collaborateurs et un jour vous déménagez. Désormais, l'apprentissage sera soumis à la loi du marché".
Qu'attendez-vous du débat parlementaire ?
Il faut d'abord avoir des parlementaires qui ont géré l'apprentissage. Comme il n'y a plus de cumul des mandats, peu sont ceux qui ont eu des mandats locaux leur permettant de parfaitement appréhender le mécanisme. Il y a des gens conscients des difficultés. Mais je dis aux députés : vous serez comptables et responsables de l'évolution de l'apprentissage dans votre circonscription ou votre département.
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